lundi 28 septembre 2009

Frères de blog

Ils font partie de ma famille. Je ne les ai jamais vus. Je les regarde voyager, j'envie leur voyage à Marrakech, leur été dans les îles grecques, leur quinzaine à New York, leur week-end de thalasso à Biarritz, leur séjour à Toronto, leur semaine chez Maman, leur rupture à Perpignan. Je les regarde se droguer, un trait de C. par ici, un Taz par-là, parfois même un peu de crystal — ils ne lisent donc pas ? — et je les observe se rouler par terre, s'effondrer en after, s'épuiser en pilules, s'écrouler dans une flaque de bière, de whisky, de vin, de dégueulis qui tâche mon écran tous les week-end et que je recherche fiévreusement.
Ils ne dorment pas sans lexomil, sans xanax, sans stillnox, sans alcool, sans écrire, sans se dire. Ils s'aiment, parfois, ils se photographient ensemble, en lunettes roses, puis ils se quittent et se déchirent devant moi. Ils s'envoient des bouteilles à la mer, des détours de phrases pour me dire à moi qu'ils lisent toujours l'autre, qu'ils lui jettent des parle-moi un peu malins, ou des silences ostensibles et signifiants.
Ils écrivent de petits textes pleins d'ironie sans virgules, pleins d'émotion devant un croissant, pleins de colère pour un auteur mort, pleins de bourgeoises qui dialoguent, de clubbers qui sniffent, pleins d'absurde, pleins de rire, pleins de noms propres, pleins de clins d'oeil, pleins de liens qui attirent mon regard sur d'éloignés cousins qui deviendront peut-être des frères, du jour au lendemain.
Ils ont des métiers modernes et indéfinissables, mystérieux brasseurs de budgets dans les ministères, coeurs généreux de Robin des Bois se heurtant aux fonctionnaires desséchés, aux méchantes infirmières, aux directeurs de grands magasins, ou bien apprentis avocats, visionneurs de clips, réalisateurs de pubs, concepteurs, graphistes, infirmiers et poètes. Ils débutent toujours mais connaissent tant de choses, voient tant de films, écoutent tant de musiques, lisent tant de livres, multiplient tant les références que je ne sais comment ils vivent tant de vies en aussi peu de jours.
Ils sont beaux, leurs corps se devinent au détour de photos un peu floues qu'ils cachent loin sous les couches de leur sites, comme un petit oeuf en chocolat que je dois aller déterrer dans le jardin, que je mange trop vite, restant sur ma faim.
Ils baisent sans cesse. Ils se font fister à Barcelone, défoncer le cul pendant des heures dans leur appartement des Maréchaux, sucer pendant des semaines dans des bars, ils pissent dans les rues, ils jouissent devant moi, leurs bites, leurs culs habitent mes quinze pouces, des filets de sperme sourdent de mon clavier, noient les touches, empoissent mes doigts, je bande avec eux, je me branle, je les baise, je les suce.
Leurs larmes coulent aussi souvent que leur sperme. La frénésie de leurs quêtes les épuise et ils tombent comme des gladiateurs, puis se relèvent. Ils me montrent du doigt l'eau salée qui coule sur leurs joues, le sang qui s'échappe des clous transperçant leurs mains et leurs pieds, ils transmutent leur peine en mots électroniques et l'affichent, la postent, ils sont femmes siciliennes, pleureuses égyptiennes, ils se couvrent la tête de cendres, se déchirent les joues et se labourent les flancs de leurs ongles, fils de la Méditerranée quand même ils se croient Parisiens, ils espèrent sans y croire que la publicité de leur malheur l'atténuera, que le partage les soutiendra.
Leurs proches meurent, leurs parents tombent malades, le sale virus entre dans leur sang, ils en fêtent l'anniversaire, le maudissent, le célèbrent, le conspuent, le revendiquent, puis tombent comme chiffons un soir de solitude.
Sur un haut gradin de mon cirque maxime, je vois des gerbes de sang éclabousser les spectateurs et je tire un peu ma toge blanche. Ils sont en bas, dans l'arène, à mourir pour moi, à baiser pour moi, à rire pour moi, à souffrir pour moi.
Ils font partie de ma famille et je ne les connais pas

1 commentaire:

Henri-Pierre a dit…

Et il en est au moins un cher pacha des Couteaux qui est si heureux, si heureux de te retrouver...